Scène I
Le plateau est nu. Elle est sur scène, seule et assise, recoquillée sur elle. Elle porte des bandages sur la tête et le corps. Elle a probablement des hématomes. Ses cheveux sont décoiffés. Une lumière venant du haut l’éclaire formant un cercle sur elle. Elle se balance et chante à tue-tête. Un temps. Lui arrive en fond de scène, on le voit très peu, il est en dehors de la lumière.
- Lui : Qu’est-ce que tu fais ?
Elle s’arrête de chanter. Elle regarde Lui un instant et se met en boule.
- Elle : Rien…
- Lui : Que faisais-tu alors ?
- Elle : Rien.
Silence. Elle tend les jambes et lève la tête pour regarder le ciel avec un air neutre, toujours assise.
- Lui : Tu rêves encore ?
- Elle : Oui.
- Lui : Toujours le même ?
- Elle : Toujours.
- Lui : Tu sais que …
- Elle : Absolument.
- Lui : Ça va ?
- Elle : Aucun problème.
Elle se met à gratter sa tête par nervosité.
- Elle : Je roulerais aujourd’hui.
- Lui : Pourquoi dis-tu cela ?
- Elle : Parce que.
- Lui : Explique-moi les raisons.
- Elle : Non. Laisse-moi. Je roulerais encore aujourd’hui.
- Lui : Je peux te parler ?
- Elle : Je ne sais pas.
- Lui : Alors ?
- Elle : Quoi ?
- Lui : Je ?
- Elle : Tu ?
- Lui : Arrêtes.
- Elle : D’accord.
- Lui : Je peux te parler ?
Silence.
- Lui : Parles-tu aux autres personnes ?
- Elle : Non.
- Lui : Penses-tu à moi ?
- Elle : Peut-être.
- Lui : Pourquoi continues-tu ?
- Elle : Parce que.
- Lui : Sois sage maintenant.
- Elle : Arrêtes. Ne dis pas ce que je dois faire.
- Lui : Nouvel échec. Raté. Erreur.
- Elle : Ça suffit.
- Lui : Quoi ?
- Elle : Pars ! Ne me parle plus !
Lui s’en va, il sort du plateau. Elle se retrouve à nouveau seule sur scène. Un temps. Elle se remet à gratter nerveusement ses cheveux.
- Elle : Rouler ! Rouler ! Rouler !
Elle s’arrête et pose ses mains au sol
- Elle : J’ai ouvert les yeux sur ce rêve qui me préoccupé tant. Il m’envahissait de bonne chose. Je pourrais nommer ça « amour ». Mais que faire face à « amour » qui coupe le cœur en deux, qui ajouté en passant, est impossible à contrôler. On me demande ouvrir les yeux, maintenant ! Non ! Non ! Impossible ! Tout part en fumée ! Une pincé d’un langage innocent et les sentiments sont balayés.
Silence
-Elle : Je me demande si le « bien » existe quelque part, je me retourne la question sans arrêt. Je me le demande, je te le demande, j’y réponds ! Réponds à mes questions ! Aaaah !
Lui revient, toujours dans l’ombre mais il est au bord.
- Lui : Et là, ça va mieux ?
- Elle : J’en ai assez. Le futur n'est pas encore à portée de vue alors je dois arrêter de respirer, maintenant.
- Lui : Te soucies-tu au moins de savoir si c'est la meilleure des solutions ?
- Elle : Peu importe comment, mais faites-moi rouler.
Lui se met à marcher vers elle, entrant dans le cercle. Il s’accroupit à côté d’elle.
- Lui : Et là ?
- Elle : Encore un peu, je ne vais pas tarder à voir quelque chose alors je dois retenir mon souffle, maintenant. Je roulerais encore aujourd’hui.
Il s’assoit juste à côté d’elle et l’enlace.
- Lui : Et comme ça ?
- Elle : … Oui, c'est bon.
- Lui : Tu dois être fatiguée de tout ça, je me trompe ?
- Elle : Je veux que mon rêve se réalise.
- Lui : Rouleras-tu encore ?
- Elle : Je ne sais pas … Peut être.
- Lui : Tu devrais arrêter maintenant. Je suis là.
- Elle : Comment est-ce possible ?
- Lui : Calme-toi.
- Elle : Je voudrais encore rouler aujourd’hui.
- Lui : Stop je t’ai dit.
- Elle : Je …
- Lui : Ferme les yeux.
- Elle : Mais je …
- Lui : Stop. Ferme là.
Un silence. Elle finit par le repousser et lui tourner le dos. Lui ne réplique et se lève pour quitter le cercle lumineux.
- Elle : Il n'y a aucun endroit qui soit bon en moi sans qu'il y est dans l'autre sens du déraisonnable. Je réponds à mes propres questions. Tandis que mon deuxième moi y répond autrement. N'importe où, n'importe quand, deux, trois fois. Ici, là, je veux sauter par-dessus tout ça, maintenant ! MAINTENANT !
Silence
- Elle : Quand tu me touches instinctivement, je voudrais te dire « non ». C'est douloureux, tu me touches, je suffoque, c'est peut-être ça monter au 7ème ciel …
Je suis très amoureuse comme si mon ventre s'agrandissait, comme emportée par un goût intense. Toutes ces sensations à la fois mais multipliées par deux. Je ne vois rien, devenons simplement amoureux ? Aimer, aimer, aimer ... Non ! Non ! NON !
Silence. Elle trifouille violement ses cheveux puis s’arrête.
- Elle : Que se passe-t-il donc en moi ? Après avoir rêvé d'un monde plein de bonté, je suis maintenant envahie de cette étrange chose que l'on appelle « amour ». Je suis encore, et toujours plus amoureuse. Le diaphragme encore gonflé par cette intense saveur qui n'est plus. C'est le revers de la médaille ! Tu menaces encore de me priver de liberté. Donne-moi encore de ton « amour » ! « Amour » ! « Amour » ! « Amour » !
Elle se met à éclater de rire sur le coup.
- Elle : J'ai beau ressentir cela par pulsion, je n'arrive pas à le décrire. C'est douloureux, étouffant, c'est comme si je partais pour le paradis. Puisqu'il n'y a aucun autre moyen, je voudrais, dans un sens, voler là-bas tout de suite que ce soit à gauche ou à droite.
Tic-tac, tic-tac … Le temps passe … Tic-tac, tic-tac… Mon égo, entièrement détruit par ce désastre... Tic-tac, tic-tac … Ma tête tourne… Tic-tac, tic-tac… Tourne les aiguilles et tourne ! Tourne ! Tourne !
Plus doucement.
- Elle : Tic-tac… Tic-tac… Je tournerai encore. Je m’entourai encore. Je roulerai encore. Je m’entortillerai encore. Je m’aplatirai encore. Je ! Je ! Je ! MAINTENANT !!
On peut entendre des voix murmurer tour à tour, pouvant être répété plusieurs fois et dites dans n’importe quel ordre. Elle se recroqueville à nouveau.
- Voix : Rouler ! Rouler ! Rouler !
- Voix : Je roulerais encore aujourd’hui.
- Voix : Nouvel échec. Raté. Erreur.
- Voix : Je ne vois rien.
- Voix : Maintenant !
- Voix : Que se passe-t-il donc en moi ?
- Voix : Devenons-nous amoureux ?
- Voix : Rouleras-tu encore ?
- Voix : Tu me touches, je suffoque.
Elle se gratte à nouveau la tête, presque à sang. Elle crie dans sa folie. Noir.
Scène II
Elle est assise face à un poste de télévision, seule. On peut entendre le grésillement, il n’y a pas de chaîne.
- Elle : Un fusil, un journal télévisé …
Nan mais franchement, tu y crois à celle-là ?
Que c’est triste.
Tu l’entends ? Bang ! Bang !
Ce sont des coups de fusil.
Tu aimes ?
Avoue que tu détestes ça.
Nous sommes seuls.
Tu es enfin venu ? Je tiens à ne pas te laisser filer.
« Le performance de cette homme était magnifique ! »
Dans ma tête, ça raisonnait.
Je crois être à cours de munitions.
Et si on faisait un retour en arrière ?
Toutes les occasions sont bonnes pour qu’on les tourne à notre avantage.
Nous avons dit « Bye Bye » à cette routine pourrie.
Il est temps de tourner la page.
Bruit strident de la télévision
- Elle : J’en ai marre de faire des erreurs.
Apprend moi à faire retour en arrière.
Je n’ai plus rien à perdre.
Ah oui ? Vraiment ? Tu es sûr ?
Si tu le dis alors, es-tu chanceux ?
Après avoir tourné en rond pendant quatre-vingt-huit secondes ?
Ce que je prévois ? Le bonheur ?
Peut-être.
Elle se remet à gratter discrètement la tête.
- Elle : Tant de voix se sont mélangées.
J’ignore même comment ça a commencé,
Et quand ça s’arrêtera.
Est-ce vraiment important ?
Ne fais pas semblant,
Toi aussi tu le savais.
Bruit strident de la télévision.
- Elle : Un fusil, un journal télévisé …
Quoi ? Répond moi quand je te parle.
Tu as peur ?
Regarde ces blessures sur moi.
Game Over.
De l’autre côté de l’écran, cette fille tombait.
Elle avait la tête en bas dans un monde d’adulte.
Roule, roule, roule.
Chute.
Défaite.
Glissade.
Ecroulement.
Nouvel échec.
Raté.
Erreur.
Fin.
Game Over.
Bruit strident de la télévision. Elle se gratte de plus en plus progressivement.
- Elle : J'ai commis une erreur à chaque roulade,
Mais toi par contre, tu te roulais par terre.
Et tu riais.
Tu te marrais.
Tu crois que je perds mon temps ?
Tu es enfin de retour.
Alors ? Qu’est-ce que tu ressens ?
Je rêve la nuit.
Enfin, ce ne sont pas des rêves.
Mais ils reviennent chaque nuit.
Je tente d’oublier les erreurs qui me hantent.
Elle se gratte à nouveau la tête, comme un spasme
- Elle : Je suis vidée !
Usée !
Sali !
Peu importe comment je fini,
C’est ça le bonheur ?
Tu es heureux ?
Quatre-vingt-huit secondes.
Plusieurs sons se répètent dans ma tête.
Sortez de là !
Es-tu chanceux ?
C’est bizarre,
Tu n’as rien gagné.
Bruit strident. On zappe à la télévision, laissant entendre les différents le bruit du zapping et les différentes chaines. Elle se gratte encore la tête.
- Elle : A travers l’écran, elle tombait.
Un fusil, un journal télévisé …
Tu entends ? Bang ! Bang !
Une fille …
Sens dessus-dessous,
C’est un monde d’adulte.
Et toi ?
Tu te marrais.
Noir.
Scène III
Le plateau est à nouveau nu. Faible lumière. Elle est toujours assise, recoquillée sur elle-même et se balance. Elle finit par rire de plus en plus fort. Lui arrive.
- Lui : Qu’est-ce qui te prend ?
Elle continue de rire. Lui s’avance vers elle et la prend par les épaules pour la secouer.
- Lui : Réponds-moi !
- Elle : Tu viens jouer ?
- Lui : A quoi ?
- Elle : Bang ! Bang !
- Lui : Ça suffit !
- Elle : Tu veux me rejoindre ?
Lui la repousse violement. Elle reste allongé au sol et rigole doucement.
- Elle : Tu as peur ?
- Lui : Arrêtes.
- Elle : Allez viens, je vais te rouler dessus. C’est un peu paniquant, n’est pas ? Tu penses vraiment me chopper ? Parce que je me sens délaissé. Je commence vraiment à m’ennuyer … Alors ? Qu’est-ce que tu en penses ? C’est troublant n’est-ce pas ? Je te tiens. Toutes ses occasions, ensemble. Anéantit. Sombrer comme les Tours Jumelles.
Inquiétude.
Peur.
Culpabilité.
Crainte.
Lâche.
Effroi.
Trac.
Game over.
Lui se met à reculer d’Elle.
- Elle : Tellement mieux !
Tellement fun !
Tellement drôle !
Tellement divertissant !
Tellement cool !
Sens-tu l’adrénaline monter en toi ?
Cette excitation.
Cette chaleur.
Mieux que l’ « amour ».
Tu aimes ?
Je veux te voir,
Suffoquer.
Avoue que tu détestes ça.
Nouvel échec. Raté. Erreur.
- Lui : La ferme !
Elle se lève et s’avance vers Lui.
- Elle : Roule.
Roule.
Roule.
Roule.
ROULE !
- Lui : Stop !
- Elle : Le penses-tu vraiment ?
- Lui : Que se passe-t-il dans ta tête ?
- Elle : J’entends
Encore,
Des voix,
Qui me murmurent.
Elle se met à chantonner.
- Elle : Une fille,
Sens dessus-dessous.
C’est un monde d’adulte.
Es-tu heureux ?
C’est ça le bonheur ?
Qu’est-ce que tu ressens ?
Bang ! Bang !
- Lui : Je ne te reconnais plus.
- Elle : Tremble encore.
- Lui : Je…
- Elle : Tu ?
- Lui : Cesses cette comédie !
Elle baissa d’un ton, elle sourit et fini par l’enlacer. Lui se laisse faire.
Elle : Pourquoi m’arrêter dans un si bel élan ? On repart à zéro ? Mais cette fois-ci, c’est toi qui rouleras.
Noir.
Note d’intention.
Roule raconte l’histoire d’une jeune fille qui souhaite mettre fin à ses jours, suite aux derniers évènements vécus. Elle est blessée et blasée par la vie et elle souhaite le faire silencieusement et discrètement sans que son entourage soit au courant, renfermé dans sa coquille. Le fait de dire « Je roulerais » donne un côté enfantin et ne montre pas directement l’état mentale du personnage. Seulement, un garçon lui semble lui donner assez t’attention pour être proche d’elle. Cependant, il profite de la naïveté de la jeune fille et de la situation pour s’asservir d’elle, prenant possession de la relation. Elle se retrouve donc aveuglée par cet amour et tombe par la suite enceinte. Sa vie se détériore et s’empire. Elle devient de plus en plus folle, hystérique, jusqu’à vouloir faire un meurtre. Ici, c’est la manipulation des sentiments, elle ne commettra directement le crime mais lui fera subir la torture.
Le fait que Elle roule, montre un cycle, un renouvèlement. Le fait de tourner renvoie à l’expression « La roue tourne ». En clair, la pièce montre que, dans chaque situation, on peut avoir un reversement. Ici, c’est le changer de domination entre Elle et Lui. Elle est poussée de plus en plus dans une folie incontrôlable mais elle reste consciente de ses actes. Elle se prépare à torturer Lui pour lui faire payer, ainsi commencera sa vengeance. On passe de l’amour à la haine progressivement. Nous attendons toujours notre heure de gloire ou de vengeance et Elle montre beaucoup de patience afin de mettre son plan en exécution.
Elle et Lui ne sont pas nommés. Ce sont n’importe quel personnage de la vie courante, dans une telle situation. Elle n’est peut-être pas courante mais elle est d’actualité. On peut se plonger dans la peau du protagoniste. Pour résumé les personnages, Elle est une jeune fille naïve, innocente de la vie. Le fait de se gratter la tête justifie les voix qu’elle entend, les idées confuses. Ce geste montre sa folie. On le retrouve beaucoup dans la scène I, on le voit réapparaitre lentement dans la scène II et on le perd totalement dans la dernière scène. Elle fait beaucoup d’erreurs et souhaite malgré tout s’améliorer lorsqu’elle est avec Lui. Contrairement à Lui, qui est assez manipulateur et sûr de lui.
En ce qui concerne les notes de scénographie, elles sont là pour représenter l’atmosphère de Elle. Le cercle représente sa coquille, sa bulle ou son intérieur. Le fait que Lui rentre à l’intérieur, il le perce et la jeune fille commence à se confier à lui. Durant cette phase, elle symbolise aussi la fécondation (Après que Lui l’est enlacé et qui soit parti, elle avoue avoir un bébé dans son ventre. « Je suis très amoureuse comme si mon ventre s'agrandissait, comme emportée par un goût intense. » et « Le diaphragme encore gonflé par cette intense saveur qui n'est plus. »). Le cercle, l’ovule et Lui, le spermatozoïde.
Dans la scène II, le poste de télévision reflète les médias. Elle prononce « Journal télévisée » comme en rapport avec des faits divers médiatisés, c’est une histoire d’amour qui finit mal en réalité. Il se peut que notre personnage s’est inspirée des médias pour préparer sa vengeance ou tout simplement qu’elle sera la prochaine des unes.
La pièce est assez troublante, voir un personnage monté en puissance à cause de cette haine ressentit. Elle devient cruelle et il est tout à fait normal que sa manière d’agir fait totalement peur.